La belle aventure

Salim Grabsi, multirécidiviste des projets sociaux

Il y a des gens, comme ça, qui vous dynamisent. Salim Grabsi est de ceux-là. Le monde va mal, la journée est trop longue ? C’est le moment d’appeler Salim et de mettre un peu de joie de vivre et de générosité dans votre quotidien. Une petite pincée ?

En cette fin avril, le soleil et le mistral se disputent le ciel. Ils parlent fort, comme des Marseillais. Tout Marseille y est concentrée, et c’est un peu le même sentiment que l’on a en parlant avec Salim Grabsi. L’homme a grandi dans le 13e arrondissement. Il y a fait ses premières armes de militant, il y a fait des rencontres aussi, et désormais il y travaille, au Lycée Diderot.

Salim Grabsi ne se fatigue jamais. À peine sorti de l’adolescence, il s’indignait déjà. Membre du Syndicat des Quartiers Populaires de Marseille (SQPM), impliqué dans l’Après M du quartier de Sainte-Marthe et dans l’Association Le Sel de la Vie, il se dit « multirécidiviste des projets sociaux », et c’est très exactement ce qu’il est.

Planète Marseille

Il était une fois, à Marseille, en 1971, la naissance de Salim. Il grandit au Parc Corot. Les quartiers nord, c’est sa maison. « Ce sont des quartiers qui ont une histoire, l’histoire des migrations et des bidonvilles. Je suis issu d’une génération à laquelle les anciens transmettaient cette histoire, elle était incarnée. » Avec l’uberisation des jeunes, la paresse intellectuelle (merci Google), le durcissement des problèmes, il lui semble que ces quartiers hier plutôt solidaires sont en train de changer. « Il y avait une forme d’uniformisation des difficultés et des solutions d’un quartier à l’autre, et ça n’est plus le cas aujourd’hui, tout est morcelé » regrette-t-il. Pourtant, Salim n’est pas dupe. S’il se souvient de la fraternité qui régnait, il se rappelle aussi des années 80 et de tous ces gens qui “partaient” à cause de l’héroïne et du sida. Cette prise de conscience des problématiques sociétales est devenue son fil rouge.

Une jeunesse militante

Après la constatation, place à l’action ! « On voulait améliorer le cadre de vie, aménager l’espace… On s’est intéressé à l’accompagnement scolaire, on a organisé des colonies de vacances…» « On », ce sont des copains, qui se retrouvent entre deux blocs d’immeubles de 13 étages dans l’agora. D’abord au Parc Corot, puis assez vite, le militantisme et les tournois de foot font se croiser des jeunes d’autres quartiers : « ça permettait de brasser du monde et d’éviter les conflits » analyse-t-il.

La guerre du Golfe, un énorme choc, un court passage en politique, vite douché. Il traverse la décennie en créant des collectifs avec des habitants, en aidant une génération à prendre sa place. Puis viennent les années 2000. « Tout a changé. Le 11 septembre 2001 a été un coup de massue. Nous sommes passés de l’insouciance à une forme de stigmatisation. On nous a renvoyé à une image d’indigènes, à des interrogations sur notre identité. » En 2002 avec l’extrême droite au second tour c’est encore un verrou qui saute. « Tout ça rappelle des blessures invisibles, et l’impression qu’à chaque fois qu’on essaie de s’élever, quelque chose nous ramène vers le bas, au rez-de-chaussée. »

L’aventure Après M

Il y a une histoire devenue légendaire pour les Marseillais, celle du McDonald’s du quartier de Sainte-Marthe dans le 14e arrondissement. Elle commence en 2008, alors que les travaux d’aménagement de la voie rapide prévoyaient de faire passer plus de 100 000 véhicules par jour sous les fenêtres des habitants à l’emplacement du fameux restaurant. Un premier combat commence, qui en appelle d’autres. Le Syndicat des Quartiers Populaires de Marseille est créé avec ses 101 propositions établies à partir de revendications des habitants, le collectif du 1er juin prend vie pour tenter de lutter contre les règlements de comptes – un terme que Salim récuse, « ce sont des assassinats » – et une manifestation réunit plusieurs milliers de Marseillais. Le McDo reste en place.

Dix ans plus tard, le McDo de Sainte-Marthe est de nouveau sous les feux de l’actualité. Cette fois, l’enseigne souhaite solder son restaurant. Des emplois et un lieu de vie vont disparaître. En 2018, toutes les figures de l’action sociale se mobilisent – Salim Grabsi est là. Pendant la période covid, le fast food est réquisitionné par ses employés, il sert de base arrière pour l’aide alimentaire dans les quartiers nord. L’après Covid sonne l’heure de la victoire, largement médiatisée, avec le rachat des murs par la Ville. L’Après M reste ouvert, et devient un symbole de lutte sociale à Marseille.

Et au milieu coule le sel de la vie

C’est en plein cœur de l’Après M que naît l’association Le Sel de la vie, le 14 juillet 2020. En coparents, Aïssa Grabsi et Noé Jedwab, deux personnalités qui méritent qu’on parle d’elles (c’est prévu, mais restons encore un peu avec Salim…) « Avec le covid, la fracture numérique est clairement apparue et beaucoup ont eu peur que leurs enfants subissent un échec scolaire. » Alors, Salim, Aïssa et Noé créent l’association Le Sel de la vie, pour « ouvrir le champ des possibles aux minots ».

S’y retrouvent différents collectifs et associations, en tout près de 45 structures et « une multitude de projets, en fonction des envies et des besoins de ceux qui nous rejoignent ». Le water-polo est un sport élitiste  ? Le Sel de la Vie s’en empare et crée un tournoi. Les mères ne savent pas nager  ? On leur apprend. On les initie également au maniement d’un pointu. Les jeunes se rêvent médecins  ? Et pourquoi pas  ? Le sel de la vie ouvre une prépa médecine, d’où sont depuis sortis de premiers étudiants. Peu à peu, les rêves deviennent réalité.

L’apprentissage et les rencontres

Salim s’amuse : « Ça part dans tous les sens  ! » mais ce fourmillement de projets solidaires, c’est toute sa personnalité. Alors, il se remonte les manches pour aider les jeunes générations à s’approprier leur avenir. « La justice sociale par l’apprentissage », martèle-t-il. Et ça n’est pas un hasard si cet acteur impliqué est aussi technicien de laboratoire au Lycée Diderot. Après tout, son engagement n’a-t-il pas débuté par le soutien scolaire ? Il revendique d’être parmi ceux qui accompagnent : « on doit donner aux jeunes des moyens humains, des connexions, des relais. » Pour lui, personne n’est bon à rien : « il y a des enfants qui ne savent pas à quoi ils sont bons, c’est tout. Si tu joues au jeu vidéo Fortnite, tu fais déjà de la géométrie dans l’espace sans le savoir ! »

Salim Grabsi a raison : « Ce sont des rencontres qui font bifurquer les trajectoires et aident à aller le plus loin possible. » Il sait de quoi il parle, il en est la meilleure preuve.

On a demandé à Salim Grabsi vers quelle Belle Aventure il souhaitait nous diriger et il nous a parlé du psychiatre engagé avec qui il a co-fondé Le Sel de la vie : Noé Jedwab.