Jeux interdits
Quand j’avais 6 ans, j’ai vu un « grand » de 9 ans qui jonglait tellement bien avec son ballon que ça m’a donné envie. J’ai commencé à jouer au foot avec les garçons à la récréation. Au collège, j’ai continué, mais seule dans mon jardin, au moins deux heures par jour et plus encore le week-end. Ma mère était inquiète, elle avait peur que je « finisse lesbienne »… J’ai alors dû me battre pour quelque chose d’un peu ridicule : avoir le droit de taper dans une balle. Les garçons, eux, n’avaient pas ce problème, leurs parents ne trouvaient pas ça bizarre qu’ils aiment le foot.
Vers 16 ans, mon père m’a emmenée dans un club réputé du Val-de-Marne où je vivais, mais j’avais développé une telle pratique solitaire que je ne me suis pas sentie à l’aise dans l’équipe. Après cet épisode, j’ai eu une relation intermittente avec le football. Ma passion se mêlait à ma quête d’identité : qui suis-je ? Où vais-je ? Lesbienne ou pas ? Je me suis dit qu’il était peut-être temps de grandir et d’arrêter le foot.
Regards obliques
Quand tu es une fille et que tu joues au foot, le poids que tu as sur les épaules est immense, comme si tu représentais à toi seule tout le genre féminin. Les garçons, eux, peuvent être un peu moins bons un jour, ça passe. Nous, on n’a pas le droit à l’erreur. Une fille sur un terrain, les gens vont la regarder et la juger. Cette sensation-là a imprégné toute ma pratique et a un peu gâché le plaisir. Les seuls moments où j’ai été pleinement heureuse en jouant, c’était dans mon jardin.
Un jour, alors que j’étais enseignante, nous avons fait un tournoi entre collègues. J’étais goal. J’aime bien plonger vers le ballon, c’est une sensation incroyable. Ça jouait bien et fort et je me débrouillais pas mal, j’avais les marques des balles que j’arrêtais sur les bras. Le lendemain pourtant, un collègue m’a dit : « J’y suis allé mollo avec toi hier ». Si c’était vrai, c’était particulièrement méprisant de me le dire et si c’était faux, c’est symptomatique de ce qui se joue dans une partie de foot entre garçons et filles.
Idéal d’inclusion
Pendant l’Europride qui s’est tenue à Marseille, en juillet 2013, j’ai rencontré le président de l’association MUST – Marseille United Sports pour tous – qui venait d’être créée et qui permettait à des gens de 18 à 55 ans de pratiquer un sport de manière conviviale sans être jugés pour leurs goûts ou leur orientation sexuelle. Je me suis inscrite. Je voulais explorer le côté associatif communautaire, vivre l’expérience de l’inclusion. Avec le foot, ça n’était pas gagné. Une ou deux nanas venaient parfois, mais le noyau dur était constitué d’hommes aguerris à ce sport, les débutants n’apprenaient rien et n’étaient pas inclus dans le jeu. L’état d’esprit élitiste, compétitif de ce groupe, cette année-là, ne m’a pas plu, ça n’était pas l’idée de base de l’association, ni celle d’un sport pratiqué pour le loisir. J’ai craqué lors d’un tournoi international à Paris auquel j’avais participé avec MUST. J’étais la seule fille de l’équipe. J’étais hyper motivée, mais on ne me faisait pas rentrer sur le terrain ou alors juste pour la dernière minute. On ne me laissait que des miettes, ça m’a agacée. Mes vieux démons ressurgissaient : je n’avais pas ma place dans ce sport et je devais me battre deux fois plus que les autres pour le pratiquer juste pour le plaisir.
Le foot sans complexes
L’expression marseillaise « jouer au ballon » me correspond bien. Moi, ce qui me plaît, c’est cette maîtrise d’un objet rond qui t’échappe, quand tu arrives à en faire ce que tu veux, c’est presque comme une danse. J’ai d’abord songé à quitter l’association, puis on en a discuté tous ensemble et j’ai proposé de créer un créneau d’initiation pour apprendre et s’amuser. J’ai très vite compris qu’il me faudrait dans un premier temps abandonner mon idéal de mixité : seules des femmes se sont inscrites. Chaque semaine, je leur apprenais le peu que je savais, faire des passes, maîtriser la balle. C’était très agréable de transmettre, de partager ma passion avec des gens sympas, motivés, sans exclure personne. Notre petit groupe était très hétéroclite, il y avait des lesbiennes, des bisexuels, des femmes qui étaient devenues hommes. Dans cet environnement protégé, on pouvait progresser. Petit à petit, des hommes sont venus nous rejoindre. Ils étaient heureux de pouvoir jouer sans complexes, sans objectif précis, sans tournois à la clé et c’était chouette d’être ensemble juste pour s’amuser.
Aurélie nous propose de nous intéresser de plus près à ce que fait l’association MUST…