On avait rendez-vous dans une brasserie écoresponsable au pied du grand escalier de la gare Saint-Charles. Prosper est déjà là, qui sirote son café. Le lieu est à son image : dynamique, mais tranquille, divers mais pas dispersé. Et engagé, quoi qu’il arrive.
Prosper Wanner est, depuis une douzaine d’années sociétaire et gérant d’Hôtel du Nord (site internet et guide des hospitalités d’humain à humains) et de la plateforme Les Oiseaux de passage (communauté de passeurs de voyages) dont il est également le cofondateur. Il n’a pas toujours été dans le tourisme, il a d’abord étudié le génie mécanique, a officié en tant que tourneur fraiseur, est devenu spécialiste de l’aménagement de projets alternatifs, puis ethnologue à Aix-Marseille Université..
La coopérative Hôtel du Nord ressemble à Marseille, faite d’entraide, de générosité, de diversité de curiosité. Le principe est simple : des habitants des quartiers nord de la ville logent, et parfois promènent, des gens de passage, qu’ils soient touristes, accompagnants de personnes soignés à l’Hôpital Nord, travailleurs en transit, saisonniers, étudiants…
Quand les quartiers nord se racontent
Le projet a pris naissance avec Christine Breton et ses récits d’hospitalité. Conservatrice honoraire du patrimoine et docteure en histoire, elle plaçait le centre de Marseille dans le nord depuis déjà quelques années, mais elle avait besoin d’un spécialiste de la création et la gestion d’entreprise coopérative. Elle appelle donc Prosper Wanner, qui accompagne depuis plusieurs années les initiatives alternatives dans le quartier de la Plaine. Au sein de Place Coop avec Philippe Osswald, il participe à des coopératives de l’économie sociale et solidaire, et à l’émergence des circuits courts, de l’autopartage et de la finance solidaire. Il répond à l’appel de Christine Breton. « Moi qui n’y connaissais rien en projet culturel, elle qui n’y connaissait rien en projet coopératif, c’est complémentaire, on était faits pour s’entendre ! » Son travail : structurer et développer une coopérative, avec 50 chambres et 50 itinéraires, et générer des retombées économiques à partir de l’idée des récits d’hospitalité. Un vrai projet à plusieurs qui symbolise l’acte de naissance d’Hôtel du Nord, créé à partir de sept structures. Un projet du tourisme, avec les récits des habitantes et des habitants des quartiers nord de Marseille en bandoulière.
La Dolce Vita
Petit détail : Prosper Wanner vit à Venise. Un détail, vous dit-on. Un détail de 600 km à vol d’oiseau, 100 de plus par la route, mais c’est le train de nuit que prend Prosper une à deux fois par mois. L’échappée en Italie durera tout de même 14 ans. « J’avais envie de logiques moins centralisées, de plus de coopératif » explique-t-il. La crise du covid, il la passe là-bas. Parmi les premières confinées, Venise devient un terrain de jeu: la ville est rendue à ses habitants et sans le surtourisme. Prosper Wanner intègre alors le projet : « Coronavirus vu du monde : ethnographies d’une crise globale », une démarche d’anthropologues bloqués dans leur contexte, et qui documentent ce qu’ils observent. L’occasion pour Prosper Wanner de réfléchir aux changements que ces cent jours du premier confinement génèrent dans la ville : de nouveau, la nature est visible, l’eau est plus claire, les oiseaux reviennent. La mendicité, interdite par le maire (car elle dérange les touristes – c’est du moins le message de l’arrêté) revient dans l’espace public. Les habitants se réapproprient leur espace et la dépendance au surtourisme devient flagrante. Ce rapport circonstancié sera l’objet des premiers articles qu’il publiera en tant que chercheur sur le sujet du rapport au tourisme.
Ethnographe du tourisme
Ah oui, parce qu’on ne vous a pas dit, en parallèle, Hôtel du Nord a créé Les Oiseaux de passage, qui regroupe de manière plus large des projets similaires partout en France. En s’appuyant sur cette structure et l’expérience d’innovation dans le tourisme qu’elle représente, toujours depuis Venise, Prosper Wanner entame une thèse intitulée « Tourisme social, économie collaborative et droits culturels : ethnographie d’une coopération complexe ». Ce travail de recherche, Prosper Wanner le décrit comme « une démarche d’ethnologie : il s’agit d’observer et d’en tirer les enseignements », à partir des oiseaux de passage. Pour nourrir son propos, il s’intéresse aux plateformes de l’industrie touristique versus l’émergence de solutions alternatives ; et à la question de l’hospitalité dans le tourisme versus une vision plus incarnée, collaborative et inclusive du tourisme. En plus de tout cela, il est aussi membre du réseau européen de la convention de Faro (qui s’intéresse à « la valeur du patrimoine culturel pour la société » en Europe) et, à ce titre, expert du Conseil de l’Europe.
Marseille, le retour
À l’appel de Christine Breton, Prosper Wanner avait répondu : « Trois ans et j’arrête ». Aujourd’hui, il est toujours là, et de retour à Marseille depuis l’après covid. Mais ce retour ne change pas le fonctionnement d’Hôtels du Nord. La coopérative garde son ADN collaboratif et s’il en est le gérant, Prosper n’intervient que très peu dans son organisation quotidienne. Désormais, il compte suivre de près l’évolution de l’offre en tourisme à Marseille. La Ville souhaite s’appuyer sur les acteurs locaux ? La prenant aux mots, il propose de participer au débat public, pour appliquer dans la ville ce que Les oiseaux de passage et Hôtel du Nord ont démontré à leur échelle : l’humain, c’est un bon carburant, et une énergie largement renouvelable.
https://lesoiseauxdepassage.coop/
On a demandé à Prosper Wanner vers quelle belle aventure il souhaitait nous diriger. Et il nous a parlé de l’une des membres d’Hôtel du Nord, qui est aussi la cuisinière du ZEF : Zara Adda-Attou