La belle aventure

Noé Jedwab, le psy créatif des quartiers nord

Quand on parle avec Noé Jedwab, quelque chose de l’ordre du tourbillon jaillit. Médecin, il l’est jusqu’au bout des ongles : il soigne les blessures. Toutes. Partout. Tout le temps. Installé dans les quartiers nord de Marseille, il est l’un des cofondateurs du Sel de la Vie, association dédiée à l’éducation, au sports et aux loisirs.

Marseille est un village. « De l’Estaque jusqu’aux Goudes » dirait Massilia Sound System. Dans chaque quartier, tout le monde se croise et tout le monde se connaît. Les quartiers nord ne dérogent pas à la règle. C’est Salim Grabsi qui nous a invités à discuter avec Noé Jedwab, « le psychiatre des quartiers nord qui va chez les gens », nous avait-il dit. En un mot, un humaniste. Et Salim avait bien raison. Noé, est le cofondateur, avec Salim et son cousin Aïssa Grabsi du Sel de la Vie. Dans le cadre de cette association, ils ont imaginé Medenpharkiné, une « écurie solidaire » pour former gratuitement des jeunes à passer le concours de médecine autour d’un leitmotiv : « il faut sortir du déterminisme, être créatif. Il y a des solutions, il faut rentrer dans la culture des possibles ».

L’art, un outil puissant

Le psychiatre s’est installé dans le 14e arrondissement. Dans son cabinet, il y a des tableaux. Des toiles d’ici ou d’ailleurs. Et d’autres de lui, car Noé Jedwab est artiste. Il peint et dessine, il est aussi batteur dans un groupe de musique kurde, « une sonorité orientale, en même temps fusion entre Naples et l’Europe de l’Est ». Un tour des cultures qui résume assez bien là où il est, et là d’où il vient. Marseillais, Noé Jedwab est le produit d’une famille de militants communistes soixante-huitards qui voulaient faire bouger les lignes, notamment dans la psychiatrie et le médico-social. Sa mère est issue d’une famille bourgeoise de Valencienne. Son père, « un juif polonais pas très bien accueilli » avait été élevé par une mère (plus ou moins) célibataire à Marseille. Parfois, sa judaïté compte, et parfois pas : c’est un héritage qui se fait entendre quand il joue, ce qui n’est pas rien : l’art n’a rien de secondaire, et lui sert, y compris dans son métier. Car, pense-t-il, on se soigne parfois mieux par la création que par la médication. Ses tableaux, l’art, c’est une manière d’entrer en contact, de créer un premier lien avec les personnes qui viennent le voir. Une manière de commencer ou terminer une visite par une discussion informelle.

C’est la présence qui soigne

Mais le cabinet, pour ce médecin pas comme les autres, est anecdotique. En désaccord avec les poncifs de sa discipline qui voudraient qu’un psychiatre reste neutre, il pense au contraire que c’est l’empathie qui compte. « Bien sûr, il ne faut pas se noyer dans les problèmes des gens, mais cette volonté de rester extérieur, c’est une bêtise monumentale qui masque la réalité d’une situation ». Et la réalité des situations, il la voit en allant au devant des gens. Chez eux. « On est d’abord là pour se rencontrer » et si ça passe par de l’intime, tant mieux. D’abord généraliste, dans une autre vie, Noé a abordé son métier par « cette culture de rentrer chez les gens, qui apporte une certaine intimité ». Dans un environnement rassurant, à la maison, on est plus prêt à se raconter, et on n’est plus quelqu’un qui a besoin d’un médecin. Ça compte. Le psychiatre affirme que « la musique, le dessin, les photos permettent aux gens de s’extraire de l’ambiance actuelle très lourde de tueries, d’aller vers un élan créatif, de faire surgir des choses » affirme qui ajoute en riant, « L’art, ça a quand même plus de gueule que les médicaments ! »

L’urgence de quitter les urgences

Noé Jedwab débute sa carrière aux urgences psy, entre la Conception et la Timone. Il y restera près de dix ans. Dix années pas toujours simples, dans une institution trop éloignée de sa conception du soin. « Le cadre n’était pas le mien, il y a un vrai manque d’intelligence collective. Il y a aussi, dans certaines cliniques, des choix déontologiques discutables, des choses qu’on met sous le tapis, impossible pour moi de travailler dans ces conditions. » Des tensions entre établissements et une manière de faire de la psychiatrie qui auront eu raison d’un esprit peut-être, comme il le dit en s’amusant, « un peu renégat ».

Pas facile de suivre un malade dans un travail sur le long terme, sur un territoire où les confrères ne sont pas nombreux : à bassin de population équivalent, le 8e arrondissement compte 8 à 9 fois plus de praticiens. La relation de Noé Jedwab avec ses patients est hybride, parce que la vie est comme ça : tout se mélange et pour aider à aller mieux, parfois, le médico-social prend le relai, par exemple quand il s’agit de trouver à une maman un logement à Pertuis pour sortir son fils schizophrène d’un quartier, la Renaude, où il se met en danger.

« Ma spécialité : le chaos ! » s’amuse le psychiatre iconoclaste. « Quand il y a un besoin, on ne peut pas laisser les gens dans la panade ». Du psy au social, du social au bénévolat, il n’y a qu’un pas… « Je travaille assez pour me le permettre : quand quelqu’un qui n’a pas de droit a besoin, oui, j’aide. Ça se sait, c’est un microcosme. »

 Le sel de la vie

« Il y a de la créativité à Marseille, et c’est vrai aussi en psy ». Noé Jedwab s’est très tôt rapproché de l’association Jeanne Panier qui prend soin de femmes vulnérables et les aide à se réinsérer. C’est sans doute son profil un peu atypique qui l’a amené à intégrer les combats de l’Après M et à s’investir ensuite dans le Sel de la Vie, aux côtés des cousins Grabsi. C’est de ces considérations profondément humaines et de ces rencontres qu’est née l’écurie solidaire Medenpharkine. Il y ont cru, ils l’ont fait. Leur cas est assez unique pour être mis en lumière. Aucun de ses confrères ne semble y avoir pensé avant… « Pourtant, explique Noé Jedwab, Marseille regorge de chirurgiens qui ne sortent pas des beaux quartiers… »

L’écurie solidaire booste les jeunes défavorisés et les met aussi au travail : « ça demande du sérieux, il faut se lancer, oser et bosser ». Mais pour répondre à l’exigence du concours, encore faut-il avoir les clés. « Beaucoup d’étudiants ne comprennent pas comment il faut travailler. Ils ont le talent, mais pas la méthode pour le concours et c’est frustrant parce qu’ils auraient eu leurs chances ». La deuxième promotion de Medenpharkine bénéficiera bientôt d’un nouveau département pédagogique avec une méthodologie spécifique sur des notions-clés : qu’est-ce qu’on attend des étudiants et quels sont les pièges à déjouer. L’AP-HP soutient le projet, mais pour aller plus loin, Noé Jedwab a mille idées en tête. Et en vue, un objectif : « créer du désir et de l’engagement. C’est l’essence de ce qu’on fait. »

 On a demandé à Noé Jedwab vers quelle belle aventure il souhaitait nous diriger. Et il nous a parlé de son acolyte : Salim Grabsi…