L’origine du monde de Surian
Jean-Jacques Surian naît à Marseille en 1942 dans un appartement du 25, boulevard Gazzino, devenu aujourd’hui le boulevard André Aune. C’est un enfant asthmatique, qui reste souvent à la maison à jouer et dessiner. En 1951, sa tante Léontine lui fait cadeau d’une boîte de peintures sur le couvercle de laquelle figure l’inscription suivante : « couleurs sans danger ». L’enfant se lance alors corps et âme dans le dessin. Crayons de couleur, mine de plomb, sanguine, peinture à l’huile, collage, céramique, il explore tout, avide de créer. Quatre-vingts ans plus tard, Jean-Jacques Surian dessine toujours sa vie, ses fantasmes, ses souvenirs. La maladresse de son trait intrigue, le rugueux de sa couleur attire, la générosité de ses détails enivre. Cézanne et Van Gogh l’inspirent, mais aussi les mythes, Ovide, la Bible, l’Amérique, les bandes dessinées, les graffitis. Picturale et pittoresque, l’œuvre de Surian devient très vite foisonnante.
Patrimoine vivant
Dès les années 60, les premiers tableaux de Jean-Jacques Surian sont exposés au musée Calvet d’Avignon et dans les années 70 au musée Cantini de Marseille. Paris, Amsterdam et Rotterdam le réclament. En 2005, le musée Granet d’Aix-en-Provence lui commande une série en lien avec La Divine comédie de Dante. En 2006, pour L’année Cézanne, il est de nouveau sollicité : toiles, dessins, œuvres en volumes, livre objet, il réinterprète l’œuvre du célèbre peintre à l’occasion du centenaire de sa mort. Sur ce thème comme sur tous les autres dont il s’empare, Surian est intarissable, il explore, dissèque, extrapole, romance, triture, décline les choses à l’infini, explorant toutes les techniques, brouillant les échelles et les perspectives, revisitant les genres sans complexe et sans relâche. Désormais, ses œuvres ont fait leur entrée au musée Regards de Provence et au musée d’art moderne de Marseille, à la Fondation Vincent van Gogh d’Arles ou encore au musée des Tapisseries et Pavillon Vendôme d’Aix-en-Provence. Dans ces lieux, on peut découvrir quelques bribes du travail de ce peintre vivant dont l’art fait pourtant d’ores et déjà partie du patrimoine.
Une peinture comme une histoire
Caché sous la tente de sioux faite avec les draps du lit de ses parents, l’enfant observe la piste qui va de Santa Fe à Sacramento. Les Tuniques bleues vont arriver. Cette scène qu’il reconstruit avec ses petits soldats, il l’a vue hier après-midi au cinéma du curé où il est allé avec sa grand-mère. Elle avait mis pour la circonstance son chemisier blanc et noir et une fois rentrée à l’appartement, elle avait repris son tricot. Ce matin, il a fait monter le thermomètre à 39°, une technique qu’il maîtrise à la perfection. Pour profiter pleinement de ce lundi sans école, il va rester encore un peu sous sa tente, à farfouiller dans la boîte remplie de vieilles montres… Le travail le plus récent de Surian met en scène les « résidus obsessionnels » de sa vie : la guerre (les bombardements de Marseille), l’école communale (et la maîtresse sadique), les jeudis (et la cache dans les placards et penderies), la vie de famille (les fêtes, le quotidien, vivre ensemble) et les premières sorties amoureuses (sur la colline de Notre-Dame de la Garde). Il prend la forme d’une série d’œuvres biographiques baptisées Psycho-intérieurs et travaillée à la manière des miniaturistes et enlumineurs du Moyen Âge, sur des petits formats de 73 par 60 centimètres.
Les souvenirs des autres
La retranscription visuelle des souvenirs que propose Jean-Jacques Surian est fascinante parce qu’elle touche à la fois à l’intime et à l’universel. Ce matériau mémoriel, il le transforme et le multiplie à l’envi. Il peut aussi l’adapter : récemment, le peintre a en effet imaginé une continuité à ce travail personnel en se lançant dans la création de tableaux réalisés pour les autres : racontez-lui votre enfance, il en fera une œuvre picturale sur le modèle de ses Psycho-intérieurs. Vous y retrouverez les gens, les objets, les lieux qui ont peuplé votre enfance. Les souvenirs que vous aurez confiés à l’artiste viendront, détail après détail, remplir la toile blanche. L’idée d’une réalité mémorielle fantasmée multiple est belle, intrigante, généreuse, précieuse.
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