La belle aventure

L’engagement par le fromage

Madeleine Desportes était acheteuse dans le prêt-à-porter éthique. Audrey Emery collaboratrice d’élus à la Mairie de Paris et à l'Assemblée nationale. Elles se sont connues sur les bancs de leur formation en crèmerie fromagerie. Leur reconversion, elles l’ont envisagée d’abord séparément, mais c’est ensemble qu’elles ont ouvert La Laiterie Marseillaise, rue Sainte, dans le 7e arrondissement.

Déclin et renaissance

Début des années 2000, en France. L’univers de la crèmerie ramollit à vue d’œil. Rattrapées par l’offre imbattable de la grande distribution, les fromageries ferment. Ce métier, on le fait souvent de père en fils et aucune formation n’existe. Les crémiers-fromagers s’organisent alors pour revoir leur offre. Ils s’appliquent à proposer des produits de qualité, de vrais fromages fermiers, au lait cru, des AOP… Une formation et un diplôme sont enfin créés et la distinction « meilleur ouvrier de France » est ouverte aux virtuoses du métier. Depuis, la profession va mieux et les fromageries « nouvelle génération » ne ressemblent en rien aux anciennes.

Automne 2017, Madeleine et Audrey se rencontrent sur les bancs de leur certificat de qualification professionnelle en vente conseil crémerie fromagerie à Paris. Elles en sortent diplômées – et amies – en juillet 2018. Avant de passer à la théorie, Madeleine s’était frottée à la pratique avec quatre mois de woofing dans des fermes productrices de fromage. Audrey, elle, a éprouvé le métier grâce aux stages en alternance du certificat. « J’ai appris beaucoup à la Fromagerie Goncourt, dans le 11e arrondissement de Paris. Son créateur, Clément, et le reste de l’équipe étaient des reconvertis professionnels aussi. Nous parlions le même langage. »

Agir pour le mieux

Pour l’une comme pour l’autre, la reconversion ne s’est pas faite en un jour. L’élue pour laquelle Audrey travaillait n’ayant pas été reconduite, la jeune femme en a profité pour questionner ses envies. « Servir l’État, c’était une évidence, ça me passionnait, mais je n’avais plus l’énergie. Je me suis rendu compte que les valeurs importantes pour moi – le besoin d’engagement, l’écologie, la nature, le concret – étaient transposables à d’autres domaines, il me fallait juste choisir. J’ai opté pour la gastronomie. » Plutôt qu’un revirement complet, ce choix est une continuité : « J’ai des souvenirs d’enfance assez forts avec mes parents, quand on posait notre caravane dans un endroit et qu’on sillonnait autour. Fromage, charcuterie, poterie, châteaux, grottes, on explorait tous les potentiels de la région ! J’ai des souvenirs très forts de dégustation de beaufort par exemple. Et je revois encore cette productrice de fromage sonder le Saint-Nectaire et nous offrir la carotte de fromage à déguster. »

Pour Madeleine, c’est la fin des quotas laitiers, en 2015, qui a provoqué un électrochoc. Elle qu’on appelait, enfant, « la petite souris » tant elle mangeait de fromage, est atterrée par l’inhumanité de cette politique qui ne garantit plus les prix d’achat et condamne les petits paysans à ne jamais pouvoir être rémunérés justement. « Lors de notre formation, l’un des enseignants venait d’ouvrir La laiterie de Paris dans le 18earrondissement. Pour fabriquer son fromage, il achetait du lait à des producteurs qui fixaient eux-mêmes le prix de vente. Nous avons trouvé l’idée super. » Fin mai 2019, Madeleine et Audrey entrent dans l’action à leur tour en reprenant le local d’une boucherie fermée depuis une vingtaine d’années. Le 10 janvier 2020, elles ouvrent la Laiterie Marseillaise. Deux mois plus tard, le confinement débute. La laiterie étant considérée comme commerce essentiel, elle reste ouverte et continue à construire sa petite renommée, profitant de cette étrange parenthèse où les gens, privés de leur liberté, reprennent goût aux commerces de proximité.

Productions maison

Sur place, dans le laboratoire de la boutique, Audrey et Madeleine produisent leur propre feta, vendue aux côtés de références de haute qualité. Elles fabriquent aussi leurs yaourts. Leur matière première, le lait, elles l’achètent à deux producteurs du Var : Adrien dont les vaches paissent tranquillement au Luc, et Erika et Florent dont les chèvres vivent leur meilleure vie à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume. « Nous sommes très attentives au bien-être des animaux, mais aussi à celui des éleveurs. Les vaches et les chèvres dont nous utilisons le lait sont nourries sans OGM et sans nourriture fermentée. Nos producteurs fixent leur prix et nous prenons en charge le transport. » Les seaux et cartons de transport sont nettoyés, désinfectés et réutilisés à l’infini. Les pots en verre des yaourts sont consignés 50 centimes et pour les fromages, les clients peuvent venir avec leur contenant.

Créer du lien

Épaulées par les autres commerçants de proximité, qu’elles soutiennent en retour, Audrey et Madeleine ont à cœur de participer activement à la constitution d’une toile collaborative locale vertueuse. « Pour parfumer nos yaourts, nous achetons la verveine du Père Blaize. Bigoud, à Aubagne, nous fournit de la menthe sauvage et de la tagète lemoni, plante qui a la saveur du fruit de la passion et que nous faisons infuser dans le lait. » Très friands de leurs produits, les restaurants voisins – Ekume, Alivetu, Mouné, Regain sont des clients fidèles. La laiterie Marseillaise fournit également les établissements Bouillon et l’épicerie L’Idéal pour leurs dîners Insolites. Enfin, pour sensibiliser les clients à sa démarche, le duo de crémières organise régulièrement des ateliers pour adultes de fabrication de mozzarella burrata. Petit à petit, une toile vertueuse se tisse, vivante et vivace, éthique et réjouissante.

La Laiterie Marseillaise
86, rue Sainte, 13007 Marseille

lalaiteriemarseillaise.fr

Audrey et Madeleine nous proposent de passer du fromage au pain en allant découvrir Miches et baguettes, avenue de la Corse, toujours dans le 7e arrondissement.