Interroger le rapport à la propriété
2015, dans les hangars de l’ancienne usine de cimenterie La Coloniale sur les hauteurs de l’Estaque, l’équipe de la Déviation prend ses quartiers. Son leitmotiv : être indépendante de toute forme de subventions et pérenniser l’occupation de cet espace qui s’étend sur plusieurs hectares. Le modèle contractuel qui s’impose alors est inspiré des friches allemandes, c’est la propriété d’usage. Juridiquement, la propriété est légitimée par l’usage qu’en fait le collectif propriétaire, ici, il s’agit du Parpaing Libre, association qui gère la Déviation. Le lieu appartient donc à ses usagers tant qu’ils participent au projet et sa revente est impossible. Une énorme campagne de financement est donc lancée pour acquérir le lieu en propriété d’usage. Les fonds sont empruntés à environ 300 personnes, petits et gros prêteurs, sans passer par le système d’emprunt bancaire classique.
2019, le lieu est acquis. Un projet fou, diront certains, mais la folie est à la hauteur des rêves de Parpaing Libre.
Faire naître des projets
En tout, la Déviation abrite un espace central de 300 m2, trois studios (de danse, d’enregistrement et de montage vidéo), un théâtre et un hangar consacré aux arts visuels, mais aussi une guinguette, point de rencontres et de partage. Figure incontournable de la Déviation, Aldo Thomas est régisseur, mais c’est aussi un artiste qui pratique la danse, le cirque, le théâtre et le théâtre d’objets, la mise en scène ou encore le cinéma. Cette Déviation, il veut en faire un ensemble unique et pluriel. « On peut à la fois y vivre et y travailler, c’est un lieu de résidence artistique pluridisciplinaire sans exigence de résultat ni de temps, ce qui favorise la recherche artistique. Ici il n’y a pas de logique de production ou de marché. » Certains artistes restent trois mois, d’autres plusieurs années. En tout, une quinzaine de permanents résident ici, dans des caravanes, des membres actifs et d’autres qui viennent en soutien, des bénévoles, des artistes de passage et des voyageurs venus des quatre coins de France et du monde.
Plus d’une centaine d’artistes ont déjà été accueillis en résidence. Des sorties de résidences permettent au public de découvrir les créations des artistes, à Marseille et Aix-en-Provence par exemple. Certaines sont soutenues par la ville de Marseille ou encore la DRAC PACA. Des performances sont proposées dans les salles de danse, un marché paysan organisé régulièrement permet de faire le lien avec les habitants et un rendez-vous festif à ciel ouvert est proposé chaque mois.
Le prix de la liberté
Quatre ans après l’acquisition de la friche, le chantier est loin d’être terminé. Les résidences artistiques fonctionnent sur le principe du libre don : les artistes qui travaillent à la Déviation paient une cotisation qui permet de rembourser une partie de l’emprunt. Mais cela n’est pas suffisant. La joyeuse équipe a besoin de soutien financier pour rembourser sa dette afin d’être totalement libre. « L’art, c’est les artistes qui le font, un lieu pour l’art c’est un lieu qui n’appartient à personne, sans pression immobilière et financière. Nous n’avons pas besoin de subventions, tout le monde est bénévole, on ne veut rien devoir à personne… si ce n’est cet emprunt. » Aujourd’hui, l’urgence pour les membres de la Déviation est de pouvoir continuer à créer pour réinventer le monde et de trouver des donateurs pour rembourser tous ses prêteurs.
Aldo Thomas nous conseille d’aller rencontrer Dar Lamifa, centre social autogéré rue d’Aubagne à Marseille.
La déviation
210, chemin de la Nerthe, 13016 Marseille
http://www.ladeviation.org/