Le déclic arrive toujours sans prévenir. Pour Mathilde, ce fut une naissance, celle de ses jumelles, concomitante avec un licenciement économique après plusieurs années de poste à responsabilité dans la communication digitale. Pour Coline, ce fut une disparition, celle de son papa, et la constatation amère que l’activité professionnelle de ses rêves, dédiée aux ONG, la rendait malheureuse. Chacune dans leur coin, elles ont alors amorcé un virage. La maman de la première a toujours voulu devenir fleuriste, celle de la seconde se rêvait horticultrice. Alors les fleurs, pourquoi pas ? Sans se connaître, Mathilde et Coline entament un CAP fleuriste. C’est à Arles, lors de l’un des stages qui complètent la formation, que les deux jeunes femmes se rencontrent. Elles ont beaucoup à partager. Enthousiasme. Amour de la nature. Besoin de concret. Envie d’agir. Ensemble, elles s’exercent à l’art floral en honorant des commandes pour des mariages. Une amitié naît et à la fin de la formation, Mathilde se lance.
Butiner ensemble
En novembre 2021, la Butinerie ouvre rue Sainte, dans le 7e arrondissement de Marseille, à deux pas du Vieux-Port. « Je ne trouvais pas mon compte chez les fleuristes de la ville. Je rêvais d’une boutique de fleurs qui corresponde à mes goûts, alors j’ai décidé de la créer ! Mais comme je voulais faire les choses bien, j’ai pris mon temps. J’avais devant moi deux ans de chômage, j’en ai profité pour me former et réfléchir au modèle économique que je voulais adopter, je me suis ensuite laissé un an pour faire démarrer la boutique et voir si mon idée était viable. J’ai été accompagnée par un incubateur. J’ai la chance d’avoir pu aborder ma reconversion dans des conditions confortables. » L’initiative est donc celle de Mathilde, la Parisienne qui ne voulait plus quitter Marseille. Mais très vite, elle invite Coline, la Marseillaise qui rêvait de revenir au pays, à la rejoindre. « Coline est arrivée tout de suite après l’ouverture, nous nous considérons comme co-fondatrices de ce lieu. »
Local et de saison
« Au départ, j’avais imaginé proposer dans ma boutique une seule fleur par mois, en fonction des saisons, et changer tous les mois de fleur. Je me suis vite aperçue que c’était compliqué. La saisonnalité est restée la clé de voûte du « café fleuriste éco-responsable » qui a finalement vu le jour. »
Pour les fruits et légumes, le message commence à passer, les mœurs changent, les habitudes aussi. Pour les fleurs, tout reste encore à faire. Beaucoup de gens ignorent en effet que les fleurs ne poussent pas toute l’année. « Pour les roses, par exemple, la floraison court en moyenne de mai à octobre, il n’est donc pas normal d’en trouver en permanence. Elles poussent à l’autre bout du monde, cultivées de manière intensive dans des serres chauffées et sont aspergées de pesticides dans des conditions environnementales et sociales désastreuses, avec, à l’arrivée, une empreinte carbone monstrueuse. » Coline prêche pour un retour au bon sens, dans l’achat des fleurs comme dans le reste. « Moi, je suis heureuse de retrouver de belles tomates en juin. Avec les fleurs, c’est pareil. Il faut savoir attendre la bonne saison pour pouvoir les contempler. »
À la Butinerie, on ne trouvera donc que des espèces locales, provenant essentiellement de producteurs varois. Anémones, renoncules, œillets et eucalyptus n’ont pas fait plus de 200 kilomètres pour parvenir jusqu’à la boutique. Engagées dans le collectif de La Fleur française, les deux associées sont intransigeantes sur ce point. Joffrey, de la petite entreprise Retour de Cueillette leur fournit des fleurs sauvages. Coline et Mathilde ont aussi planté des semis avec Nadège sur un terrain à Aubagne pour avoir leur propre production de variétés choisies. Les fleurs séchées proviennent d’un producteur bio installé en Île-de-France. Quant aux déchets verts de la Butinerie, ils sont confiés à l’entreprise Les Alchimistes pour être revalorisés en compost.
Une pause au milieu des fleurs
« J’avais passé des années à travailler dans le cérébral et le théorique, à me battre contre des géants à une échelle mondiale, je me sentais inutile. J’avais besoin de bouger mon corps, mes mains, de faire quelque chose de concret à plus petite échelle. Aujourd’hui, mon quotidien est mille fois plus satisfaisant que ce que j’ai pu faire jusque-là » se réjouit Coline. Dans le café-fleuriste installé depuis quelques mois au 101 de la rue Sainte (à quelques mètres de la première Butinerie), des ateliers d’art floral sont régulièrement proposés. Au quotidien, les passants s’arrêtent le temps d’un café pris sur les petites tables de la mezzanine surplombant les fleurs. Certains viennent avec leur ordinateur pour travailler en sirotant une infusion Maison Sauge produite à Hyères ou un délicieux café Ben Mouture torréfié dans la rue voisine du Petit Chantier. Quelques pâtisseries maison viennent parfaire cet instant suspendu au milieu des fleurs.
Mathilde et Coline nous ont conseillé d’aller poursuivre nos aventures chez Ben Mouture, qui leur fournit leur délicieux café.
La Butinerie
101, rue Sainte
13007 Marseille
@labutinerie.marseille